Décrit comme le plus réformateur des candidats à la fonction de patriarche de l##Eglise orthodoxe, Kirill a été élu, mardi dernier, par un concile élargi qui a réuni, à Moscou, dans la cathédrale du Christ-Sauveur, 702 popes, moines et délégués. Il succède à Alexix II, décédé le 5 décembre 2008.
Agé de 62 ans, Kirill, métropolite de Smolensk et de Kaliningrad, a recueilli 508 voix sur les 677 suffrages validés. “C##est avec humilité et en parfaite conscience de mes responsabilités que j##accepte le choix divin qui me confie la mission de servir en tant que patriarche. Au centre de cette mission, il y a la Croix”, a-t-il déclaré.
Le successeur d##Alexis II
Devenu en décembre 2008 chef de l##Eglise par intérim, Kirill avait déjà distancé ses rivaux dimanche. Une assemblée épiscopale avait choisi à bulletins secrets les trois candidats au patriarcat, lui accordant 93 voix, contre 32 en faveur de Kliment, son principal rival. Le troisième candidat, le métropolite de Minsk et de Sloutsk, Filarète, 73 ans, arrivé en dernière position, s##est retiré de la course, appelant ses partisans à “donner leurs voix” à Kirill. A la tête de la diplomatie de l##Eglise depuis 1989, Kirill est perçu par la communauté orthodoxe comme un partisan du dialogue oecuménique. Il a déjà rencontré le pape Benoît XVI en décembre 2007. Ses détracteurs lui reprochent d##avoir trop de sympathies pour l##Eglise catholique romaine, accusée de faire du prosélytisme sur les terres de l##orthodoxie. Kirill a fait allusion à ce thème, mardi, en déclarant avant le vote : “Aujourd##hui, on peut dire sans crainte que notre peuple a résisté avec succès à la forte pression du prosélytisme venu de l##étranger.” Dans une interview, publiée lundi par le journal Troud, il a rappelé qu##il ne sera pas aisé de faciliter le dialogue entre les Eglises orthodoxe et catholique, séparées depuis le schisme de 1054. La rencontre du pape et du patriarche, souhaitée par le Vatican, n##est donc pas pour demain. Mais il a également parlé de la nécessité de s##unir face aux menaces qui pèsent sur l##humanité. Dénonçant “la pression agressive d##un sécularisme sans Dieu, qui domine la société occidentale”, il a rappelé la nécessité du “dialogue avec les autres religions”. COLLUSION AVEC LE KREMLIN Ce fils et petit-fils de prêtre va devoir résister aux pressions des courants ultraconservateurs de l##Eglise orthodoxe, favorables à un retour à la tradition et au repli sur soi. Pour la plupart des observateurs, Kirill souhaite voir l##orthodoxie jouer un rôle plus important dans la vie politique et sociale du pays, au risque d##une plus grande collusion avec le Kremlin. Dans un message de félicitations, le président russe, Dmitri Medvedev, a souhaité que l##élection du 16e patriarche – le premier élu après la disparition du régime soviétique – renforce “le dialogue entre l##Eglise et l##Etat pour le développement du pays et la consolidation des valeurs spirituelles”. Le Premier ministre, Vladimir Poutine, lui a adressé ses félicitations par téléphone. Kirill prend la tête d##une institution dont les pouvoirs, les moyens et l##influence n##ont cessé de croître depuis la dissolution de l##URSS en 1991. Le nouveau patriarche devra se montrer indépendant d##un pouvoir politique de plus en plus soucieux de tout contrôler, alors que la société civile “est étouffée par l##Etat ou tout simplement n##existe pas”, notait, mardi, le quotidien économique Vedomosti. Défis à relever
Elu pour succéder à Alexis II, mort en décembre 2008, le nouveau patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Kirill, prend la tête d##une institution puissante, devenue prédominante dans le monde orthodoxe en dépit de divisions internes.
Il a devant lui les multiples chantiers ouverts par son prédécesseur qui, au cours de ses dix-huit années de mandat, s##est efforcé d##accompagner l##Eglise russe orthodoxe dans sa sortie de l##époque soviétique. Alexis II, dont Kirill fut l##un des plus proches collaborateurs, a conduit le renouveau de l##Eglise et initié son ouverture sur le monde. Il a aussi tenté de limiter les fractures territoriales et idéologiques, qui fragilisent l##unité du monde orthodoxe. Beaucoup prédisent que Kirill aura à coeur de poursuivre sur cette voie, s##efforçant de faire basculer l##Eglise russe dans le XXIe siècle. “Il lui revient de faire passer l##Eglise russe du Moyen Age à la post-modernité”, estime le théologien orthodoxe Jean-François Colosimo. Pour ce faire, les défis ne manquent pas. Le patriarche élu devra faire la synthèse entre les divers courants d##une Eglise qui accueille aussi bien des responsables ouverts sur l##Occident et le dialogue avec les autres religions, que des religieux marqués par un repli identitaire et nationaliste, en phase avec une grande partie de la société russe. Son élection, remportée à une large majorité, a montré qu##il savait ménager les diverses tendances. Son sens politique et son habitude du pouvoir devraient l##y aider. “Son image d##ouverture est l##une de ses facettes, reconnaît Antoine Nivière, professeur de civilisation russe à l##université de Nancy-II, mais il défend aussi une doctrine ultra-conservatrice et nationaliste.” En matière de doctrine sociale, notamment, l##Eglise orthodoxe dans son ensemble demeure en effet l##institution chrétienne la moins ouverte à la modernité. Et, lors de sa campagne électorale, Kirill a prévenu qu##il n##y aurait pas de “réformes” dans une Eglise qu##il juge “conservatrice par nature”. “Toute réforme portant atteinte à la foi, aux traditions et aux valeurs est appelée hérésie”, a-t-il déclaré à l##agence russe Interfax, le 29 décembre 2008. En externe, les deux principaux dossiers sur lesquels ses premiers gestes sont attendus concernent le dialogue avec les catholiques et l##apaisement des relations intra-orthodoxes. Régulièrement critiqué pour son goût de l##oecuménisme et ses “bonnes relations” avec les catholiques, Kirill qui, au titre de “ministre des affaires étrangères” d##Alexis II, a rencontré les divers responsables religieux du monde, pourrait oeuvrer à un rapprochement historique avec le pape Benoît XVI. Les deux dernières décennies ont été marquées par des relations tendues, les Russes accusant régulièrement les catholiques de prosélytisme sur “leurs” terres orthodoxes. Après mille ans de schisme, les deux hommes pourraient être tentés de trouver, par ce rapprochement, leur place dans l##histoire. Apaiser des relations tendues avec le patriarcat de Constantinople, qui jouit de la primauté d##honneur sur le monde orthodoxe en dépit de sa faiblesse numérique, constituera un autre chantier. Fort de ses effectifs, de sa richesse et de son passé, le patriarcat de Moscou revendique en effet une autorité sur l##ensemble du monde orthodoxe. Une rencontre entre Kirill et le patriarche Bartholemée Ier de Constantinople pourrait contribuer à pacifier les rapports intra-orthodoxes. EVANGÉLISATION Enfin, en dépit d##un renouveau réel de la vie religieuse en Russie, le nouveau patriarche, qui ne cache pas sa volonté d##accroître la présence de l##Eglise dans la société russe, devra s##accommoder d##un niveau de pratique religieuse particulièrement bas (aux alentours de 3 % de la population) et d##une implantation limitée aux grandes villes du pays. “Dans les années 1990, les baptêmes ont été célébrés en masse, mais il s##agissait surtout d##une adhésion culturelle, explique M. Nivière. Il a manqué l##évangélisation.” “L##Eglise a échoué à attirer les milieux intellectuels”, souligne aussi M. Colosimo. Une mission de plus pour ce “jeune” patriarche de 62 ans, réputé travailleur et programmé pour la fonction depuis son entrée en religion, il y a quarante ans.
Voeux du pape Benoît XVI
Le pape Benoît XVI a adressé ses voeux mercredi au nouveau patriarche de l##Eglise orthodoxe russe Kirill Ier sur lequel il a invoqué “la lumière de l##Esprit Saint”. Au terme de son audience générale hebdomadaire au Vatican, le chef de l##Eglise catholique a indiqué avoir “appris avec joie la nouvelle de l##élection du métropolite Kirill comme nouveau patriarche de Moscou et de toutes les Russies”. “J##invoque sur lui la lumière de l##Esprit Saint pour un engagement généreux au service de l##Eglise orthodoxe russe, le confiant à la protection spéciale de la mère de Dieu”, a-t-il dit. Dans un télégramme de félicitations rendu public plus tard dans la journée par le Vatican, Benoît XVI a assuré Kirill de sa “proximité spirituelle” et de “l##engagement de l##Eglise catholique à coopérer avec l##Eglise orthodoxe russe” en faveur de “la paix, la justice et la défense des personnes marginalisées”. “Puisse Dieu bénir tes efforts de maintenir la communion entre les Eglises orthodoxes et de chercher cette pleine communion qui est l##objectif de la collaboration et du dialogue entre catholiques et orthodoxes”, conclut le pape. Benoît XVI a déjà rencontré trois fois le nouveau patriarche orthodoxe russe qui s##est rendu au Vatican en avril 2005 ainsi qu##en mai 2006 et décembre 2007. Le Conseil pontifical pour la promotion de l##unité des chrétiens, chargé au Vatican des relations avec les Eglises orthodoxes, a souligné dans un communiqué qu##il est “heureux d##avoir un patriarche avec lequel (il a) entretenu des relations fraternelles depuis de nombreuses années”. “Bien sûr, nous ne voulons pas perdre de vue les difficultés qui persistent encore” dans les relations entre les deux Eglises, a relevé le Conseil pontifical, qui souligne cependant l##aspiration commune des chrétiens à “la pleine communion”.
Processus électoral
Axios,axios, axios, « digne, il est digne ! » L##acclamation est trois fois répétée pour saluer le nouvel élu. Elle a résonné sous les voûtes de la cathédrale du Christ Sauveur, inaugurée en 2000 au cœur de Moscou, pour honorer celui qui a été choisi pour conduire la plus puissante Église orthodoxe du monde après la mort du patriarche Alexis II, le 5 décembre dernier. Il a été élu au terme d##un « concile local », le premier depuis la chute du communisme, réunissant 711 délégués, dont un tiers des délégués laïques sont des femmes. Une formule originale dans le panorama des Églises chrétiennes. Ce concile s##est ouvert mardi matin, à Moscou, pour trois jours. Mais, dès lundi soir, une liste de trois noms a été proposée par un « concile épiscopal », réunissant les seuls évêques – ils sont 203 -, qui commence ses travaux, en vue de sélectionner trois candidats parmi eux. C##est donc une grande semaine qui s##est ouverte pour l##orthodoxie russe. Une semaine décisive puisque s##est joué également, à travers cette élection, le leadership de l##orthodoxie dans le monde. Si le premier patriarcat de l##orthodoxie, dans l##honneur et dans l##histoire, reste celui de Constantinople, le siège moscovite, avec une bonne moitié des orthodoxes du monde, pèse très lourd. D##autant qu##il a su se réconcilier avec la majorité de la diaspora russe dans le monde, souvent des descendants de Russes blancs qui avaient fui la révolution de 1917 et qui accusaient facilement la hiérarchie orthodoxe de « collaboration ». Son rayonnement est donc mondial. Sauf le respect de la tradition orthodoxe du primat du patriarcat de Constantinople, Bartholomée Ier, et sans provocation pour des orthodoxes toujours méfiants de l##hégémonie catholique romaine, on pourrait parler, pour en situer l##enjeu, de l##élection du « pape » de l##orthodoxie mondiale.
Identité nationale
Sans oublier un second enjeu, concernant plus particulièrement la nation russe. Avec la nouvelle Russie, l##Église orthodoxe a connu un développement spectaculaire. Des baptêmes en masse, la reconstruction et la restauration de centaines d##églises. À l##image de la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, où se déroule cette élection. Fondée en 1812, elle fut rasée par Staline en 1930 pour y creuser une piscine circulaire, puis reconstruite, à l##identique, avec bulbes dorés à la feuille d##or, entre 1991 et 2000 ! L##Église orthodoxe est donc aujourd##hui, à côté de l##État, la seule institution à l##échelle de cet immense pays aux onze fuseaux horaires. Elle joue à la fois un rôle capillaire et social au plus près des gens mais aussi une fonction symbolique de mémoire et de culture dans une société russe à la recherche d##une identité nationale. Elle jouit de ce fait d##une autorité et d##une crédibilité importantes sur une population tentée par le vieux démon de la fermeture à l##Occident. D##où l##importance du choix du nouveau responsable de cette Église.