Muriel ou le temps d##un retour est un des rares films du réalisateur français Alain Resnais, avec Delphine Seyrig qui trace le portrait d##un couple séparé par la guerre d##Algérie (juin 1962). Un classique à voir ou à revoir, le 20 mars, à 18h, au CFCC, Héliopolis.
Les événements se déroulent au mois de septembre 1962. Muriel ou le temps d##un retour traite d##Hélène Aughain, femme au début de la quarantaine et antiquaire à domicile, vit à Boulogne-sur-Mer, avec Bernard Aughain, son beau-fils qui revient d##Algérie. Elle fait revenir son amour de jeunesse, Alphonse Noyard, un homme dissimulateur, charmeur et habile. Il arrive accompagné d##une jeune femme, Françoise, actrice débutante, qu##il fait passer pour sa nièce. Hélène les accueille et la cohabitation du groupe va s##avérer source de tensions: rémanence du passé propre à chacun, résolution du passé et amours contrariés.
Le procédé narratif du film expose merveilleusement un passé à vif et traumatique pour les personnages: les bombardements de Boulogne-sur-Mer pour Hélène et Bernard, l##amour passé de Hélène et d##Alphonse rompu par la guerre et la ville elle-même marquée par la reconstruction et le déniement du passé. Le traumatisme de la Guerre d##Algérie pour cette génération est présent, à travers le souvenir de Bernard qui reste marqué par la vision de Muriel, victime de la torture. En montrant que l##expérience de la guerre ne débouche pas sur un engagement politique mais sur un cauchemar intime et une impossibilité de communiquer. Raison pour laquelle Resnais va au cœur du problème.
Deux ans après avoir signé le manifeste des 121, en faveur de l##insoumission des jeunes appelés en Algérie, Alain Resnais s##attelle à l##écriture de Muriel ou le temps d##un retour, avec le poète et écrivain Jean Cayrol. Si la guerre est un des sujets de prédilection du cinéaste, elle n##est pas le principal sujet du film. Muriel ou le temps d##un retour n##étant pas un film sur l##Algérie, mais un film où il en est question comme d##une pensée gênante, Resnais par ce propos subtil échappa à la censure très pointilleuse de l##époque. Le spectre des évènements influe sur la construction filmique et scénaristique de l##œuvre. D##après Alain Resnais, ” Le cinéma ne devrait être qu##un montage d##émotions “. Dans les paroles du cinéaste, on peut distinguer les trois mots directeurs de son œuvre entière, mais aussi de son film Muriel : l##émotion, qui, de par sa racine, s##apparente déjà au mouvement, le cinéma qui est mouvement, et le montage, qui brise et qui renforce ce mouvement.
Quant aux personnages du film de Resnais ils sont marqués par des traumatismes divers, à la fois contradictoires et complémentaires. Hélène Aughain, admirablement incarnée par Delphine Seyrig, femme brisée par ses expériences personnelles, essaie de revivre ses amours passés, alors que Bernard, le bourreau devenu victime de sa propre barbarie, ne parvient pas à sortir de ses souvenirs.
Pour éviter ce qui aurait pu être le cliché de la représentation des vies austères des personnages par le classique Noir et Blanc, Resnais justifie son choix de la couleur (chargée et criarde) pour former la subtilité picturale de l##œuvre. Ces couleurs renforcent aussi l##idée de mosaïque, omniprésente dans la construction du film. L##image est divisée. dans le film, Bernard disparaît et les couleurs éclatent, tel le récit.
Un éclatement également ressenti grâce à des cadrages serrés ainsi qu##à un montage vif, notamment au début du film. Les personnages et leurs gestes, isolés les uns des autres, sont semblables. Des images et un montage déroutants (un visage, une main et une cigarette, une théière, un autre visage, une autre expression, une autre main sur une poignée de porte) dont Resnais se sert habilement pour montrer autant la banalité quotidienne que les souffrances et les déchirures ambiantes. Le metteur en scène ne s##arrête pas là. Le contrepoint est donné par sa volonté d##asséner au film une dimension théâtrale. Hélène ouvre alors le rideau rouge et blanc, dont la présence est souvent remarquable dans l##appartement, comme il s##ouvrirait sur une scène, pour laisser le spectateur voir ce qui se joue entre les personnages, sans entrer dans leur psychologie. Le film est indiscutablement dans la mouvance. Muriel ou le temps d##un retour est ce chef-d##œuvre de Resnais qui reste et restera ineffable dans l##art cinématographique.