Soeur Emmanuelle franco-belge qui avait gagné le respect et la popularité en consacrant sa vie aux plus pauvres, est morte lundi dernier à l##aube de ses 100 ans, suscitant un hommage unanime en France et dans le monde catholique. Soeur Emmanuelle, de son vrai nom Madeleine Cinquin, s##est éteinte “dans son sommeil” dans la nuit de dimanche à lundi dans sa maison de retraite de Callian (sud). “Fatiguée”, mais ne souffrant “d##aucune maladie particulière” , la religieuse franco-belge allait célébrer son centième anniversaire le 16 novembre prochain.
Les obsèques de Soeur Emmanuelle, ont commencé mercredi dernier, dans la plus stricte intimité, dans la maison de retraite où elle résidait à Callian dans le Var.
En présence de quelques membres de sa famille -sa belle-soeur, sa petite nièce et son petit neveu- ainsi que des pensionnaires laïcs et religieux de la maison de retraite, une cérémonie religieuse était organisée dans la chapelle de la maison de retraite en mémoire de la religieuse.
Le père Maurice Franc qui officie dans le canton de Fayence, dont dépend la commune de Callian, a lu l##épisode du “jugement dernier” extrait de l##Evangile selon Saint-Matthieu, dans lequel figurent les célèbres paroles du Christ: “j##étais nu et vous m##avez habillé, j##avais faim et vous m##avez nourri…”
“Ce texte représente bien la vie au service des autres qu##a menée Soeur Emmanuelle”, a déclaré le prêtre un peu avant la cérémonie.
Une messe a ete également célèbre hier , selon les souhaits de Soeur Emmanuelle, à la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, rue du Bac à Paris (VIIe).
Soeur Emmanuelle, qui avait partagé pendant plus de 20 ans la vie des chiffonniers du Caire, a mené une lutte acharnée contre la pauvreté et l##exclusion avec un franc-parler et une vitalité qui lui ont valu une popularité durable en France.
Pour le Vatican, elle était une “grande figure de la charité chrétienne”. “Son témoignage a montré comment la charité chrétienne réussit à aller au-delà des différences de nationalité, de race, de confession religieuse”, a déclaré son porte-parole, le Père Federicio Lombardi.
En France, la classe politique et les représentants des principales religions ont salué une “humaniste hors du commun” et une “femme d##exception”.
“Elle était notre soeur à tous. Elle était une femme de foi aux convictions élevées, mais aussi une femme d##action Nous n##oublierons pas la personnalité pétillante, souriante et débordante d##énergie de soeur Emmanuelle, qui savait nous interpeller en nous tutoyant pour toucher notre coeur, nos certitudes et notre confort”, a déclaré le président Nicolas Sarkozy.
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur a salué une “grande pionnière de la solidarité humaine du 20 siècle” et le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a estimé qu##elle avait “fait valoir les plus belles des valeurs morales fondant l##humanité”.
Biographie
Sœur Emmanuelle voit le jour le 16 novembre 1908 à Bruxelles, Belgique, avec le prénom de Madeleine. Son enfance est marquée par le décès de son père alors qu’elle n’a que six ans. Dès son jeune âge, nait en elle le désir de pouvoir aider un jour ceux qui sont dans le besoin: les exclus, les démunis, les malheureux et plus particulièrement les enfants.
Après ses études en philosophie elle entre en communauté dans la Congrégation Notre-Dame de Sion. Sa vie missionnaire commence dans une école secondaire de la congrégation en Turquie où elle enseigne les lettres. Sa carrière d##enseignante se poursuit ensuite en Tunisie et en Égypte. À travers son enseignement, elle sensibilise ses élèsource: Témoin de Dieu – http://catholique-chalons-en-champagne.cef.fr/temoindedieu/archivtemoin/1999/emmanuelle.htmves issues de milieux aisées aux difficultés des gens démunis de leur pays. Elle leur dit sa conviction:
« Non, la pauvreté n’est pas une malédiction!
Non, la richesse n’est pas la panacée! »
Ses 22 ans au Caire
« J’ai passé des années extraordinaires. Les années les plus merveilleuses, dans un bidonville au milieu des rats, des ordures, des cochons, des saletés. Mais, dans l’amour qu’on ne trouve plus dans le monde. »Ce n’est qu’en 1969, à 61 ans, que, l’heure de la retraite venue, elle renoue enfin avec son rêve de jeune fille. Elle songe d’abord à aller chez les lépreux. Mais ceux-ci vivent en zone militaire, donc interdite. Alors, lorsqu’on lui parle des chiffonniers qui vivent à la périphérie du Caire, elle s’emballe. « J’étais comme un oiseau qui, après quarante ans, volait enfin là où ses ailes avaient toujours voulu le porter », confiera-t-elle.
Un beau jour d’automne, elle distribue ses livres, brûle ses cahiers et part s’installer dans le bidonville d’Ezbet El-Nakhl, « pauvre parmi les pauvres ». Elle y restera vingt-deux ans. Sa maison ? Une cabane à chèvres de deux mètres cinquante sur trois, sans eau ni électricité. La première année, elle rend visite aux 4 000 habitants du bidonville, découvre la drogue et l’alcool qui rendent les hommes fous, les filles mariées à 12 ans, les jeunes femmes enceintes tous les dix mois, le tétanos qui tue dans leur première année quatre bébés sur dix. Et comme elle n’est pas « une contemplative » mais « une femme d’action », elle se met au travail.
Rare liberté de ton et d’esprit
Verront ainsi le jour une école, un terrain de jeux, un dispensaire, un atelier de couture. Encore lui faut-il persuader les parents de laisser les enfants aller à l’école, trouver des médecins, faire accepter des méthodes de contraception, lutter contre le mépris dans lequel sont tenus les chiffonniers. Elle s’y emploie sans relâche et sans faire de prosélytisme car, dit-elle, « ce ne serait pas un service à rendre en terre d’islam, ce serait comme arracher un arbre à sa terre ».
Il lui faut aussi collecter de l’argent. Et pour cela, se rendre en Europe et en Amérique, créer des réseaux, des liens de complicité, une association. Partout où elle se rend, sa voix, son énergie, son sourire, sa rare liberté de ton et d’esprit, ses propos vifs et caustiques secouent, impressionnent. Et font affluer les chèques. De quoi ouvrir de nouveaux chantiers, comme le centre médico-social Salam, inauguré en 1980 par la femme du président Sadate. Ou organiser d’autres jardins d’enfants, d’autres écoles, d’autres dispensaires dans d’autres bidonvilles, le Mokattam où elle s’installe à partir de 1980, puis Maadi Tora en 1985. Et même construire une usine de compost, capable de transformer en engrais les ordures collectées par les chiffonniers.
En 1991, Sœur Emmanuelle célèbre avec les chiffonniers ses « noces de diamant ». Sœur Sara, une religieuse égyptienne, de la congrégation copte-orthodoxe des Filles de Marie, l’a rejointe depuis plusieurs années et est peu à peu devenue son bras droit. C’est elle qui reprend le flambeau en 1993.
Racontant ses 22 ans passés au Caire elle dit :
« J’ai passé des années extraordinaires. Les années les plus merveilleuses, dans un bidonville au milieu des rats, des ordures, des cochons, des saletés. Mais, dans l’amour qu’on ne trouve plus dans le monde. »
Très sollicitée par les médias
Après vingt-deux années passées dans trois bidonvilles à manger des fèves matin, midi et soir avec un peu d’huile et de sel, mais aussi à courir le monde pour sortir de la famine et de la guerre les enfants de Beyrouth, des Philippines, d’Haïti ou de Khartoum, Sœur Emmanuelle accepte de revenir en France, à la demande de ses supérieures. Installée au Pradon, une maison de retraite des Sœurs de Sion à Callian, petit village retiré du Var, elle partage dès lors sa vie entre la prière, la contemplation, la correspondance, l’écriture et le témoignage.
Très sollicitée par les médias, les écoles et les communautés chrétiennes, elle parcourt l’Europe pour y semer la bonne parole, tutoyant ses interlocuteurs et distillant sans en avoir l’air des vérités pas toujours agréables à entendre. Où qu’elle soit, sur un plateau de télévision, parmi des jeunes, ou à une remise de prix d’un fabricant de cosmétiques, son message ne varie guère. Un message « d’amitié profonde, d’amour pour l’autre, de recherche de la justice » qu’elle continue de mettre en pratique, se démenant pour les chômeurs, les drogués, les personnes sans abri, les prisonniers.
« Comme Dieu s’est incarné et a partagé une vie d’homme, expliquait-elle, je veux, moi aussi, vivre dans ma chair les joies et les douleurs des hommes. Il s’agit pour moi d’équilibrer ma vie intérieure et ma relation avec Dieu avec le message à délivrer. » « La religion n’est pas d’abord l’entretien d’une relation avec Dieu, précisait-elle encore, mais la recherche, à travers Dieu, d’une relation avec l’homme. » Et lorsqu’on l’interrogeait sur l’Église, elle aimait à dire qu’elle confiait aux jeunes, comme elle l’a écrit dans son testament spirituel, son idéal d’« une Église servante et pauvre, rayonnant l’amour évangélique pour qu’advienne enfin un monde plus juste et plus fraternel ».
Souvenirs nostalgiques
Les chiffonniers du Caire se souviennent avec émotion de la bonté et de l##humour de Soeur Emmanuelle, décédée lundi à 99 ans, dont plus de vingt à partager la rude vie des trieurs d##ordures.
“Elle est morte?”, demande incrédule Amgad Adli, 34 ans, en se passant la main sur le front. “Je sais bien qu##elle était âgée, mais quelle tristesse! C##était un ange, elle ne savait faire que le bien”.
Les plus jeunes ne la connaissent pas, mais comme de nombreux habitants du quartier, Amgad se souvient avec émotion de la petite silhouette de la religieuse franco-belge, arpentant les rues jonchées de détritus avec un mot pour chacun, sans prêter attention à l##odeur pestilentielle se dégageant des monceaux d##ordures.
C##est dans l##immense décharge à ciel ouvert, nichée dans la colline du Moqattam, dans le sud de la capitale égyptienne, que Soeur Emmanuelle a passé plus de vingt ans, de 1971 à 1993, aux côtés des “zabbaline”.
Ils sont plusieurs dizaines de milliers, en majorité des Coptes, ou chrétiens d##Egypte, à trier ici dans des conditions misérables les tonnes d##ordures ramassées dans les rues du Caire, destinées au recyclage ou à la revente.
Chacun se souvient de la “modestie”, de la “simplicité” et de l##”humour” de Soeur Emmanuelle, mais aussi de sa rigoureuse exactitude.
“Elle était très ponctuelle. Alors, si on arrivait une minute en retard, elle n##attendait pas”, sourit ainsi M. Adli.
Si Hanane Rochdi, ancienne élève de l##une des écoles créées par la religieuse, se dit “très secouée” par la nouvelle de son décès, elle ne peut s##empêcher de rire au souvenir des facéties de Soeur Emmanuelle.
“Elle venait souvent à l##école, jouait avec nous. Elle prenait même part à nos rondes d##enfants”, raconte-t-elle.
Et pour convaincre les parents de scolariser leurs enfants, “elle n##hésitait pas à aller de maison en maison, à leur parler dans son arabe cassé, à les faire rire”, ajoute-t-elle.
“C##était une grande dame. Même si elle était très connue, elle restait extrêmement modeste, sans une once d##orgueil”.
Ezzat Naïm, lui, rend hommage à celle qui a “attiré l##attention des autorités, nationales comme internationales”, sur une population “marginalisée”.
Cet homme de 44 ans, aujourd##hui directeur d##une ONG –l##Association des jeunes pour l##environnement– est un ancien scout, qui aidait à nettoyer les rues du quartier et à construire des maisons en dur avec Soeur Emmanuelle.
La religieuse “a investi en nous. Toutes les associations que vous voyez aujourd##hui dans le quartier découlent de son action”, estime-t-il.
“C##était une sainte. C##était notre mère à tous”, affirme M. Naïm, en rappelant notamment son combat contre le tétanos, très répandu à l##époque chez les habitants du quartier.
“Elle a semé en nous l##amour du bien”, mais aussi la dignité, ajoute-t-il.
“Nous avions honte d##avouer que nous étions des chiffonniers, jusqu##à ce que Soeur Emmanuelle nous dise: Vous ne devriez pas avoir honte! C##est vous qui nettoyez les rues du Caire, qui rendez service à l##environnement. Elle nous a appris la valeur de notre travail”.
Publications
Soeur Emmanuelle avait publié plusieurs livres, notamment
“Richesse de la pauvreté” (2001)
“Secrets de vie” (2000)
“Yalla les jeunes” (“Allez les jeunes”, 1997
“Le paradis, c##est les autres” (1995).
Elle avait publié le 21 août un livre entretien: “J##ai cent ans et je voudrais vous dire” dans lequel elle tire les leçons du siècle qu##elle a traversé
“Confessions d##une religieuse” ce livre se distingue de tous les autres,Soeur Emmanuelle, avait enregistré un message posthume dans lequel elle fait la promotion de son livre “Confessions d##une religieuse” (Flammarion) à paraître jeudi 23 octobre, et témoigne “que l##amour est plus fort que la mort“
“Lorsque vous entendrez ce message, je ne serai plus là. En racontant ma vie, toute ma vie, j##ai voulu témoigner que l##amour est plus fort que la mort. J##ai tout confessé – le bien et le moins bien – et je peux vous le dire. De là où je suis, la vie ne s##arrête jamais pour ceux qui savent aimer”, déclare Soeur Emmanuelle dans un court texte qu##elle avait enregistré en audio, et que son éditeur a diffusé.
La religieuse, qui enregistrait un message promotionnel pour la sortie de chacun de ses livres, avait enregistré ce message posthume il y a deux ans et demie, lors de la publication de l##un des ses livres précédents.
“Nous avions fixé un rendez-vous pour la promotion de La folie d##amour, et elle avait proposé d##enregistrer également un message pour le livre suivant”, à paraître après sa mort, explique Sophie Berlin, son éditrice chez Flammarion.
La religieuse a beaucoup insisté pour que ses mémoires paraissent très rapidement après son décès, souligne-t-elle : “Elle était très désireuse que ce livre se distingue de tous les autres, que sa voix soit entendue dans les prises de parole après sa mort”.
Ses citations
«Partout et toujours, cherche sans te lasser le remède qui soulage, sème l##espoir : ça vivifie et ton amour peut faire des miracles.»
[ Soeur Emmanuelle ]
«On ne possède pas le bonheur comme une acquisition définitive. Il s##agit à chaque instant de faire jaillir une étincelle de joie. Ne l##oublions pas : “Souris au monde et le monde te sourira.”»
[ Soeur Emmanuelle ]